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CFRIES
30 novembre 2005

L'énigme Abramovitch - Lord of Chelsea [Page 2/2]

Le couple est-il dans sa "résidence secondaire", la propriété de Fyning Hill, dans le Sussex, digne du Roi-Soleil, avec son somptueux château, plusieurs piscines, un champ de tir, un circuit de karting et deux terrains de polo ? Roman est devenu un mordu de ce sport aristocratique, véritable sésame ouvrant les portes de l'establishment : il a engagé comme conseiller l'ancien capitaine de l'équipe d'Angleterre, Alan Kent, pour s'en faire expliquer les arcanes, via un interprète.

Ce grand amateur de pêche au gros pourrait aussi être à bord de l'un de ses quatre yachts, dont le fameux Pelorus, aux vitres blindées, équipé de radars de détection de missiles, ou dans l'un de ses deux Boeing, 767 et 737. A moins que l'oligarque ne soit dans sa datcha en dehors de Moscou ou dans sa villa de Saint-Tropez. De toute façon, où qu'il se trouve, Roman dirige ses affaires par téléphone. Il délègue facilement, a de l'humour mais quand il se fâche, peut se montrer parfaitement désagréable. A Londres, les Abramovitch mènent une existence discrète, voire effacée. Leur nom n'apparaît pas souvent dans la célèbre rubrique mondaine "Atticus" du Sunday Telegraph. "Ils fréquentent peu la jet-set londonienne et ne sont pas des habitués des grands dîners donnés par les locomotives de la haute société, indique Tim Walker, responsable de la rubrique. Ils invitent rarement à leur domicile leurs rares connaissances, Lord Rothschild, Lilly Safra ou la marquise de Reading." Walker ne leur connaît aucun vice notable.

Epaulée d'une légion de nurses, la belle Irina se contente d'élever ses cinq enfants et d'accompagner son époux au match, ce qui semble l'ennuyer à mourir. Sa seule amie à Londres est l'épouse finlandaise russophone de Mohamed Al-Fayed, le propriétaire de Harrods. Les impératifs de sécurité guident la vie quotidienne de la famille. Cette petite tribu ne se déplace jamais sans son contingent de gorilles, des anciens des corps spéciaux de l'armée britannique. Ses gardes du corps, qui ne peuvent pas porter d'armes, sont équipés de courtes matraques semblables à celles des bobbies.

A Stamford Bridge, rien ne saurait être trop beau pour les joueurs recrutés à prix d'or. Les nouveaux vestiaires allient espace, harmonie, jeu d'eau, miroirs et géométrie esthétique. S'il n'est pas impliqué dans la gestion au jour le jour de son club, son influence est de plus en plus palpable. Roman n'a pas raté un seul match à domicile et seulement deux des déplacements en province. Grâce à sa générosité, les "Blues" se sont lancés dans une grande aventure pour rattraper Manchester United afin de faire de l'enseigne une machine de l'entertainment, une sorte d'Hollywood du ballon rond, la plus rentable au monde.

Le propriétaire dispose de son propre chasseur de têtes, chargé de dénicher de nouveaux talents, en la personne du Néerlandais Piet de Visser, directeur sportif au PSV, le club d'Eindhoven, qu'il rencontre en moyenne une fois par mois. Abramovitch est présent à certains entraînements et aux réunions stratégiques. Il n'a pas oublié l'antisémitisme virulent qui sévit en Russie. L'énorme banderole proclamant "Chelsea contre le racisme", placée à côté du marquoir, témoigne de son engagement à purger le club de ses hooligans, réputés pour leur violence raciste.

Son immense notoriété ne fait pas que des heureux. Sa brutalité en affaires a déteint sur la culture footballistique, comme l'attestent les nombreux scandales provoqués par les tentatives illégales du Chelsea FC de recruter directement des joueurs et des cadres à l'insu de leur club. Certains sponsors s'inquiètent des retombées de la mauvaise image de ces vedettes mercenaires, achetées comme des savonnettes. Son activisme en faveur d'Israël a déjà fait perdre à Chelsea le soutien de son sponsor, Emirates Airlines.

La compagnie aérienne de Dubaï a été, il est vrai, facilement remplacée par le coréen Samsung en raison de l'attrait international du club. De surcroît, le propriétaire est devenu la cible de l'Union européenne de football (UEFA), qui s'est inquiétée publiquement d'une mainmise des businessmen venus de l'Est sur les clubs européens.

Dans le cas d'Abramovitch, une enquête a été ouverte l'an dernier sur ses liens avec la formation russe du CSKA Moscou dont il était le plus important sponsor, via le contrôle de Sibneft. Par ailleurs, l'ombre d'Abramovitch plane au-dessus des grandes manoeuvres en cours autour des clubs anglais de West Ham, d'Arsenal ou d'Everton.

L'oligarque a beau manifester sa bonne foi et multiplier les gages de bonne conduite, rien n'y fait. Notre homme constitue une cible idéale pour qui veut dénoncer les méfaits de l'argent, du star-système et de la mondialisation du "roi des sports".

Cette passion affichée pour le foot est-elle la vraie nature d'Abramovitch ? On n'en est pas sûr. Avant son remplacement par José Mourinho, l'ex-entraîneur de Chelsea, Claudio Ranieri, avait affirmé qu'Abramovitch ne connaissait rien à la tactique. Evoquant les 88 millions de livres de pertes accusées par le club à l'issue de la saison 2003-2004, même le loyal Shvidler a fait part de ses réserves, qualifiant son engouement de "caprice d'enfant gâté". Pour le chroniqueur sportif Patrick Barclay, le Chelsea FC lui a permis de se refaire une réputation. A l'écouter, le businessman venu du froid n'aurait fait que suivre l'exemple des Fayed, Maxwell ou Berlusconi, qui se sont racheté une respectabilité grâce au ballon rond. En Russie, Abramovitch est plutôt réputé pour être un fan du hockey sur glace. Deux ans et demi après son arrivée à Stamford Bridge, Lord Roman of Chelsea demeure une énigme.

Marc Roche

Article paru dans le Monde du 30.11.05

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