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CFRIES
15 mai 2006

Une usine de matériel de musique est la cible d'un groupe immobilier

par Laurent MAURIAC et Virginie PIRONON
QUOTIDIEN : lundi 15 mai 2006

à New York, à Moscou


Depuis quelques mois, l'inquiétude est grande chez les adeptes des
tubes électroniques, également appelés tubes à vide (vaccum tube en
américain, valve en anglais), utilisés par les joueurs de guitare
électrique pour l'amplification des signaux sonores. C'est qu'en
Russie, dans l'ancienne ville militaire de Saratov, à 850 kilomètres
de Moscou, une des toutes dernières usines au monde fabriquant ce
composant électronique fait face à un chantage digne du chaos russe
des années 90.

Il y a huit ans, Mike Matthews, président du groupe New Sensor
Corporation, basé à New York, devenu célèbre dans les années 70 pour
l'invention de la pédale Big Muff, puis pour ses systèmes d'effets
sonores Electro Harmonics, achète l'usine ExpoPUL. Un site autrefois
sensible, puisque, selon son propriétaire, celui-ci faisait partie,
avant la perestroïka, d'un «conglomérat électrique militaire, qui
fabriquait des montres, des circuits intégrés, des appareils
optiques». Les tubes à vide de l'usine servaient pour les
télévisions ou les appareils radio, pour un usage civil et
militaire. En se rendant propriétaire des lieux, Mike Matthews
oublie peut-être une chose : dans la région voisine de Samara, le
crime organisé, dont les activités sont florissantes, a des
velléités d'expansion... Il l'apprendra bien vite. A ses dépens.

Les ennuis commencent à l'automne dernier. Le groupe immobilier
Russian Business Estate (RBE), basé à Samara, vient tout juste
d'acheter la plupart des bâtiments de l'ancien conglomérat, dont
l'un, selon Mike Matthews, «permet de contrôler la fourniture
d'énergie, non seulement l'électricité, mais aussi les systèmes de
génération de gaz spéciaux : hydrogène, nitrogène et air comprimé».
RBE a fait la une de la presse économique russe à la fin de l'année
dernière pour ses ambitieux projets d'acquisition dans la ville de
Saratov... Le groupe a déjà fait main basse sur la plus grosse
entreprise de BTP de la ville, spécialisée dans la construction de
ponts, et prévoit, à terme, de prendre le contrôle du port de la
ville, situé sur la Volga...

Dénigrement. Dans sa volonté d'expansion sans limites, RBE ne
s'encombre pas de principes. En octobre, le directeur d'ExpoPUL,
Vladimir Tchintchikov, reçoit une offre de rachat de l'entreprise,
basée sur le prix des bâtiments, estimé à 400 000 dollars (309 000
euros). Un prix ridicule, comparé à la valeur des activités
d'ExpoPUL , qui génère un chiffre d'affaires d'environ 600 000
dollars par mois. «Pas question de vendre», s'indigne alors Mike
Matthews. «Vous vous préparez à de sérieux ennuis», lui rétorquent
les dirigeants de RBE. Cités par le quotidien The Moscow Times, ceux-
ci se défendent de toute action illégale et accusent en retour Mike
Matthews de ne pas procéder «à de réelles négociations».

En novembre, ExpoPUL reçoit une note de son fournisseur en énergie,
RefEnergo, qui l'informe que, «faute de moyens techniques» et en
raison «d'une source importante de contentieux», le contrat qui les
lie sera interrompu au 1er janvier 2006. Selon un porte-parole de
RBE, propriétaire de RefEnergo, l'électricité doit être coupée à
cause de la vétusté des équipements d'ExpoPUL. Matthews saisit la
justice, qui lui donnera raison. Mais RBE ne s'arrête pas là : par
voie de presse, elle entame une campagne de dénigrement de
l'entreprise, affirmant par exemple que «la production de lampes
amplificatrices est dangereuse pour la santé», ou encore qu'une
entreprise à capitaux étrangers n'a rien à faire à proximité d'une
usine militaire.

Coupures. Matthews affirme être la victime de «racketteurs
professionnels». Selon lui, «ils ont épuisé les possibilités de
spéculation à Samara, et ils sont venus à Saratov. Ils achètent
généralement des usines en faillite, ferment tout et font un profit
en revendant la propriété immobilière». Après plusieurs coupures
d'énergie empêchant l'usine de tourner (les pertes depuis le début
de l'affaire sont estimées par la direction à 600 000 roubles par
jour, soit environ 17 250 euros), Mike Matthews décide en décembre
d'installer à proximité du site son propre système de génération
d'énergie. Mais, selon ses dires, «RBE a payé un petit procureur qui
a argumenté que notre système électrique était dangereux».
Résultat , en mars, une coupure d'électricité d'une semaine et demi
et environ 830 personnes au «chômage technique».

Mainmise. A Saratov, l'affaire occupe les médias depuis plus de six
mois. Le 6 avril, selon le mensuel économique Sliania i Poglochenia,
plus d'un millier de personnes, regroupant des employés d'ExpoPUL,
mais aussi de l'usine voisine Serp i Molot («le marteau et la
faucille») et du port fluvial, ont manifesté contre les projets
d'expansion «déloyaux» de RBE et sa mainmise sur les entreprises
locales. Le gouvernement de Saratov, qui a reçu une lettre de
l'ambassadeur des Etats-Unis, y a même été de sa déclaration,
dénonçant «un vol cynique et révoltant» sur son propre territoire. A
cette occasion, Vladimir Tchintchikov s'est dit «certain» que RBE
n'en est pas à sa dernière tentative d'expulser les dirigeants
d'ExpoPUL de leurs 22 000 mètres carrés. «Ceux de Samara ont une
imagination débordante, affirme-t-il à regret, et ce ne sont pas les
ressources qui leur manquent. Nul ne peut dire par quels stratagèmes
juridiques ils tenteront à nouveau exercer leurs mesures punitives
sur ExpoPUL.» A l'heure qu'il est, pour un investissement d'1,15
million de dollars, Mike Matthews a commandé une station électrique
et de gaz, qui devrait, enfin, être installée sur son site. Afin,
dit-il, «que nous soyons libres d'avoir notre énergie».

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