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CFRIES
11 novembre 2006

Russie : la peur de l'après-Poutine

Un spectre hante la Russie et il s'appelle « 2008 ». D'ici à l'élection présidentielle de cette année-là, il est peu d'événements politiques ou économiques qui ne seront reliés à la lutte pour la succession de Vladimir Poutine. D'ores et déjà, les entrepreneurs du pays retiennent leur souffle... et leurs plans. Comme le souligne Al Breach, analyste de la firme UBS à Moscou, certains patrons « considèrent désormais que tout investissement représente un cadeau éventuel au futur propriétaire ». Car oligarques et anciens du KGB à la tête des principales entreprises du pays peuvent craindre d'être expropriés ou emprisonnés si l'emporte en 2008 un clan du Kremlin auquel ils auraient la malchance de ne pas appartenir. L'autorité de Vladimir Poutine n'a d'ailleurs pas suffi pour empêcher les caciques du régime de se livrer à un féroce jeu de bonneteau avec les grandes entreprises des hydrocarbures, du nucléaire, de l'armement, des mines ou de la mécanique. A grand renfort de « ressources administratives », délicieux euphémisme désignant le recours aux enquêtes fiscales ou judiciaires pour éliminer un rival disposant d'amis insuffisamment haut placés.

Cette ambiance délétère souligne la vacuité de l'engagement pris par Vladimir Poutine, dès son élection en 2000, de faire respecter la « dictature de la loi ». Vacuité qu'illustre aussi, à travers le meurtre récent d'Anna Politovskaïa, l'impunité avec laquelle on élimine les gêneurs en Russie ; moins connus que leur consoeur moscovite, une demi-douzaine de journalistes disparaissent ou sont abattus chaque année. Plus révélateur de l'intensité des luttes en cours, toutefois, est l'assassinat récent du vice-gouverneur de la banque centrale, Andreï Kozlov, car il faisait partie des protégés du président lui-même...

La ligne de politique étrangère n'est évidemment pas épargnée par cet affrontement entre le clan des « durs » du FSB (ex-KGB), regroupés autour du patron de Rosneft, Igor Sechin, celui des « pragmatiques », dont le chef est Sergueï Ivanov, le ministre de la Défense, et celui des « technocrates », dont le champion est Dimitri Medvedev, patron de Gazprom. Ce dernier clan est supposé pro-occidental au motif que Gazprom compte ses débouchés essentiels en Europe et pousse ses pions en Allemagne.

Sous la houlette d'un Poutine habile à jouer de l'équilibre entre rivaux, la politique extérieure qui en résulte suit toutefois une doctrine claire. Celle d'une « contre-attaque » d'un pays qui a été ces dernières années partout sur la défensive, voyant sa sphère d'influence se réduire comme peau de chagrin, avec désormais pour seuls alliés au sein de l'ex-URSS, l'Arménie et la Biélorussie. Des « pièces » stratégiques sur l'échiquier comme la Yougoslavie, l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan, qui lorgnent vers l'Europe et les Etats-Unis. Et la prolifération en Ukraine, Géorgie, Kirghizstan de révolutions orange, rose ou jaune citron aidées par des ONG occidentales. Pendant que Washington envahissait l'Afghanistan et l'Irak ou demandait des sanctions contre l'Iran, client de la Russie. Tout cela peut expliquer un peu de la paranoïa actuelle, estime Alexandre Moukhine, du Centre d'information politique à Moscou. Et la fruste stratégie d'intimidation suivie par des dirigeants russes qui n'ont jamais cru au concept de « soft power » et qui semblent persuadés qu'il n'est nulle image désastreuse qu'un bon « spin doctor » ne puisse faire oublier. C'est ainsi que la Russie croit mater la Moldavie en interdisant sous prétexte phytosanitaire l'importation de ses vins (qui passent pourtant sans encombre les tests de l'Union). Et, pour avoir seulement emprisonné deux jours cinq officiers russes soupçonnés d'espionnage, la Géorgie est interdite depuis deux mois de toute relation bancaire, postale, ferroviaire avec la Russie. Le tout sur fond de propagande télévisée xénophobe et chauvine et d'incidents racistes à répétition à l'encontre des « Caucasiens ».

Tout cela, ce sont autant de signes d'un malaise social et d'un mécontentement réel malgré la forte croissance économique, le versement en temps et en heure des salaires et la fierté nationale retrouvée. Ainsi, si Vladimir Poutine profite d'une popularité stratosphérique, on sait moins que, selon un sondage, seulement 17 % des Russes estiment qu'il a « réussi », sans doute en raison d'une corruption toujours prégnante, voire en progression, et de services sociaux délabrés. Le régime s'inquiète donc car il sait ne disposer pour 2008 d'aucun candidat populaire. Certes, il saura manipuler le scrutin si d'aventure son candidat, Dimitri Medvedev, Sergueï Ivanov ou un « troisième homme », par exemple Vladimir Iakounine, le patron des chemins de fer et ami de longue date de Vladimir Poutine, était en danger. Et le Kremlin ne feint de craindre une « révolution orange » que comme prétexte pour mieux contrôler ONG et médias. Mais la préoccupation est palpable au Kremlin, comme l'atteste la création en sous-main d'un nouveau parti politique, Russie juste, destiné à fixer le vote protestataire.

Devant tant d'incertitudes, il serait logique que le seul garant d'une paix armée entre oligarques ou clans rivaux de l'appareil d'Etat, et donc plus généralement de la stabilité du pays, à savoir Vladimir Poutine lui-même, se représente en 2008. Il suffirait pour cela d'une petite modification de la Constitution, que le président a toutefois exclue, et que les adeptes de cette science incertaine qu'est la kremlinologie ne prennent plus trop au sérieux. En effet, une telle manipulation nuirait de manière dévastatrice à la crédibilité de Vladimir Poutine lors de ses rencontres avec des chefs d'Etat élus à la régulière. Autre scénario, Vladimir Poutine pourrait garder le pouvoir réel en devenant le PDG d'un « super-holding » regroupant toutes les grandes entreprises nationales, plus riche et donc plus puissant que l'Etat lui-même. Mais cela ne serait pas du tout dans la tradition millénaire du pays, qui veut que le tsar soit le locataire du Kremlin. Vladimir Poutine est d'ailleurs bien placé pour savoir que n'importe quel PDG peut être débarqué en une seule descente de police. Un scénario le voyant se reconvertir au poste de Premier ministre n'est pas non plus dans l'esprit du pays. On peut en revanche imaginer l'élection d'un successeur assez falot, qui démissionnerait au bout d'un ou deux ans pour raisons de santé, au profit de... Vladimir Poutine, à qui rien n'interdirait de se présenter en 2010. Une hypothèse prise au sérieux par Evgueni Volk, de la Fondation Héritage, mais moins inventive que celle consistant à absorber la Biélorussie, ce qui imposerait la mise en place d'une Constitution fédérale et donc... la création d'un nouveau poste présidentiel pour Vladimir Poutine. Il faudrait juste renflouer un pays de dix millions d'habitants demeuré totalement à l'ère Brejnev. Une annexion difficilement concevable de nos jours. Mais, comme aurait dit Napoléon, inconcevable n'est pas russe.

YVES BOURDILLON est journaliste au service International des « Echos ». ybourdillon@lesechos.fr

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