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CFRIES
12 novembre 2006

Les "jaunes", nouvelles victimes de l'alcool frelaté en Russie

Les médecins russes ont surnommé "les jaunes" ces patients au teint cireux et aux yeux jaunes fluorescents qui, depuis deux mois, affluent dans les hôpitaux de la Russie profonde, souffrant de démangeaisons, atteints de fortes fièvres et de douleurs au foie. Touchés par une forme foudroyante de l'hépatite après avoir absorbé de l'alcool préparé à base de dissolvants ou de désinfectants, les "jaunes", le foie irrémédiablement atteint, meurent en l'espace de deux ou trois mois.


Depuis septembre, de la frontière des républiques Baltes (région de Pskov) au littoral Pacifique (région de Khabarovsk), 300 personnes ont succombé à cette récente forme d'hépatite toxique, des milliers d'autres ont été hospitalisées. Dans la région de Pskov (à la frontière de l'Estonie), où, en deux mois, 1 600 personnes ont été hospitalisées et 58 sont décédées, l'état d'urgence a été déclaré.

Les victimes sont pour la plupart issues des catégories sociales les plus défavorisées pour qui la bouteille de vodka vendue en magasin - passée de 65 roubles, soit 1,91 euro en janvier, à 95 roubles, soit 2, 79 euros cet été - est devenue inabordable depuis l'augmentation des taxes. D'où la ruée sur l'alcool frelaté, resté abordable avec une bouteille vendue 20 roubles (soit 58 cents) sous le manteau.

"TRAGÉDIE NATIONALE"

Le problème de la consommation d'alcool frelaté en Russie n'est pas nouveau. Chaque année, 35 000 à 42 000 personnes en meurent, une "véritable tragédie nationale", a reconnu le ministre russe de l'intérieur, Rachid Nourgaliev. Le président Vladimir Poutine en a parlé dans son adresse à la nation, le 25 octobre. "La production d'alcool contrefait est un gros problème. A l'heure qu'il est, des personnes s'empoisonnent avec de l'alcool de piètre qualité, ce qui porte un préjudice considérable à la santé de la population, le problème numéro un, et a un impact négatif sur l'état des finances publiques", a-t-il indiqué.

Décidées à lutter contre ce fléau pour la santé publique, les autorités ont introduit au printemps un nouveau système de taxes sur l'alcool, supposé limiter la production clandestine. Mais un retard pris dans la fabrication des nouvelles étiquettes a créé l'effet inverse : l'alcool légal a brusquement disparu de la vente, des pénuries sont apparues offrant un boulevard aux producteurs clandestins.

De plus, le seul alcool faiblement taxé aujourd'hui est celui utilisé dans la fabrication des dissolvants ou des détergents pharmaceutiques. Des produits comme Troian (un nettoyant pour salles de bains) ou Extrasept 1 (un désinfectant pour les blocs opératoires) sont aujourd'hui particulièrement recherchés. "Les producteurs d'alcool frelaté à base d'antigel - une véritable industrie - se sont désormais tournés vers d'autres produits", a expliqué Pavel Chapkine, président de l'Association nationale des producteurs d'alcool sur les ondes de Radio Liberty.

Comme toujours en Russie, le scénario du complot est évoqué. L'apparition de l'alcool frelaté responsable des empoisonnements serait "une action planifiée" destinée à "persuader l'opinion que le gouvernement est incapable de régler les problèmes du marché de l'alcool", a expliqué le ministre de la santé, Mikhaïl Zourabov. "Il pourrait s'agir d'une réaction des producteurs à la reprise en main du secteur par l'Etat, à moins que quelqu'un ne cherche, au contraire, à contrôler plus encore en introduisant un monopole", a ainsi expliqué l'ancien président Mikhaïl Gorbatchev, auteur en son temps d'une loi sur la prohibition.

Aux grands maux, les vieux remèdes : à la Douma (Chambre basse au Parlement), des voix se sont élevées en faveur de la création d'un monopole de l'Etat sur la production d'alcool, ce qui contrarie fortement les petits producteurs légaux (100 000 pour tout le pays). Petit à petit, l'idée d'un prix fixé par l'Etat pour la bouteille de vodka, comme à l'époque soviétique, fait son chemin.

Marie Jégo
Article paru dans l'édition du 12.11.06.

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